Complainte d’un libéral en détresse

on 3 janvier 2013 | 8 Comments

J’ai l’habitude de lire le blog d’Authueil, car j’y retrouve des commentaires souvent précis, clairs et argumentés sur la vie politique du pays, même si ses orientations très libérales en termes d’économie politique sont très éloignées des miennes – mais il faut de tout pour faire un monde.

Je vous dis ça car je ne sais pas ce qui s’est passé, mais il semble bien qu’Authueil ait ripé. Enfin, ça arrive à tout le monde, moi-même il m’arrive de faire de très mauvais billets assez régulièrement, je ne m’en vante pas trop. Rassurez-vous tout de même : tout n’est pas à jeter dans ce billet (« Exil du désespoir » à lire en cliquant ici). Le souci, c’est que ce qu’il faut garder va au final à l’encontre de l’idée qu’il a souhaité exprimer.

La France ? Pas assez bien !

Je glose, mais en réalité, ce billet d’Authueil est typique de ce qu’on peut lire sur des forums, typique de ce qu’on peut entendre dans les afterworks de la jeunesse dorée des cadres sup issus des catégories aisées de la population parisienne, typique de ce qu’on peut lire dans la presse politico-économique de type « l’Expansion » ou sur le blog de David Abiker : la France ne serait pas assez bien pour eux.

Alors je ne vais pas m’appesantir sur le caractère politique de la pensée d’Authueil, comme je l’ai déjà dit : on a besoin de tout pour faire un monde, y compris de libéraux. Le problème n’est pas là. Le problème, c’est cette rhétorique biaisée qui assoit un raisonnement sur des arguments au caractère très bancal, le tout chapeauté par un titre à la connotation fortement dépressive : « Exil du désespoir » !

Prenons les choses dans l’ordre. Comme à son habitude, Authueil, qui tout de même ne devient pas subitement mauvais, surprend le lecteur en le prenant à contre-pied : non, le problème de l’exil de nos élites n’est pas uniquement fiscal. Non, le problème c’est que « la France est au fond du trou ». Rien que ça ! Et de nous expliquer, grâce à la technique bien connue qui consiste à donner quelques exemples frappants mais peu représentatifs pour asseoir une argumentation, que tels Afflelou ou Jean-Michel Jarre, les entrepreneurs français et les grosses entreprises « délocalisent leurs cadres ». J’aimerais bien avoir quelques explications sur ce phénomène qui semble significatif mais qu’aucune statistique n’a réussi à souligner jusqu’à présent.

Un sentiment plutôt qu’une réalité

Authueil parle de « désespoir vis-à-vis de la France », comme un enfant gâté qui, choyé, regarderait toujours l’herbe du voisin la croyant plus verte. Authueil fait office d’hôpital qui se moque de la charité lorsqu’il fustige ces « gauchistes qui ne connaissent rien à la vie réelle » alors qu’il fait partie d’une classe sociale – à laquelle j’appartiens également – qui est à dix mille lieues de ce qu’est la vie réelle, celle des 67 % de Français qui gagnent moins de 2 000 euros mensuels.

Ce qui caractérise l’état d’esprit d’Authueil et de beaucoup d’autres comme lui, c’est paradoxalement un sentiment bien français : celui de dénigrer notre pays pour ne trouver que des attraits à nos voisins. Pas sûr que les milliers d’Allemands qui sont passés sous le seuil de pauvreté depuis une décennie et qui voient encore la France comme un pays de cocagne où il fait bon vivre le voient de cet œil, pas sûr que le Londonien moyen qui est obligé de cumuler les petits jobs pour vivre dans une ville au coût de la vie hallucinant ait les yeux qui brillent à l’idée de marcher sur les pavés de la City, pas sûr que l’étudiant qui s’est pris une charge de gardiens de la paix lors d’une manifestation à Montréal il y a quelques mois soit réellement fier de ses gouvernants.

La réalité statistique de notre pays est tout autre : si l’Europe est en plein marasme économique, la France fait un peu mieux, et au pire de la crise, la France a bien mieux résisté que ses voisins qui avaient choisi une voie plus libérale, notamment grâce au parachute que constitue notre système de protection sociale. Malgré deux agences qui ne notent plus la France AAA, nous empruntons toujours à des taux très bas, signe de confiance dans notre économie. Et, cerise sur le gâteau, nous sommes un des pays de l’OCDE les plus attractifs pour les investisseurs (voir PDF).

Une histoire de nature humaine

Pourtant, il y a du vrai dans l’analyse d’Authueil, parce que cette analyse saute aux yeux de tous : nous sommes gouvernés par une classe politique sans aucune ambition autre que personnelle, sans aucune imagination ni courage. Même si nous sommes diamétralement opposés sur les solutions à apporter aux problèmes de la France, nous sommes d’accord sur le diagnostic : ce sont les insiders qui posent problème, ce sont les conservatismes qui posent problème dans notre pays. Mais, et c’est là que se porte la limite de la pensée libérale, comme se portait la limite de la pensée communiste : on ne peut pas faire une théorie politique en omettant totalement la nature humaine.

Et la nature humaine est réfractaire au changement, c’est pour cela qu’aucun changement politique majeur ne s’est déroulé sans un élément déclencheur souvent violent. Et c’est pour ça qu’il est difficile de faire bouger des lignes, de faire accepter à certains privilégiés de renoncer leurs avantages. Sans faire dans la résignation, notre classe politique n’est ni pire, ni meilleure que les classes politiques des autres pays occidentaux. Elle est juste ce que le système politique la pousse à être : court-termiste, clientéliste, populiste. Sans changement radical dans notre culture politique, et dans nos institutions, il ne se passera rien.

Authueil était un des derniers libéraux profondément démocrate – peut-être plus par passion de la politique parlementaire que par logique pure – et il est peut-être en train d’ouvrir les yeux sur une réalité : libéralisme et démocratie sont antagonistes, car la remise en cause de tous les acquis qu’il présuppose ne peut se faire par la volonté propre du peuple, elle a besoin de lui être imposée. On rejoint là-encore les thèmes du communisme.

Le mirage étranger

Au final, je retiendrai de ce billet que, bien que libéral et soutien de l’opposition, Authueil démontre que toutes les aides, déductions fiscales et exonérations de charges n’auront aucun impact sur la santé de l’économie française : « ce n’est pas les aides publiques qui déterminent le chef d’entreprise à embaucher, mais bien les perspectives de croissance et d’activité de son entreprise. » C’est tout-à-fait vrai, comme il est vrai que gagner 2 % sur le coût du travail ne rendra pas la France plus compétitive vis-à-vis de la Chine !

Là où nous divergeons, c’est sur les remèdes à apporter pour que les perspectives de croissance et d’activité soient bonnes. Et à mon humble avis, on touche là à la problématique de l’œuf et de la poule. Prenons l’exemple du Canada tant aimé d’Authueil : est-ce que son dynamisme économique est lié à ses règles économiques libérales, ou est-ce que son dynamisme économique permet au Canada de se doter de règles économiques libérales sans trop de casse sociale ? Comparons-le à l’Angleterre, elle-aussi vantée par Authueil, et à la fiscalité proche du Canada : la mise en place par le gouvernement conservateur d’une politique de forte rigueur a violemment freiné sa croissance déjà faible, et sa seul vigueur économique – qui attire tant de cadre supérieurs à Londres selon Authueil – est son marché financier ultra-dérégulé. L’Angleterre est un canard boiteux désindustrialisé et Londres n’attire que parce qu’elle propose des salaires mirobolants à une minorité de cadres financiers en mal de sensations fortes.

Libéralisme de salon

Des deux exemples présentés par Authueil (je ne parle pas de Bruxelles, parce que là c’est carrément fallacieux), seul le Canada a une économie dynamique. Montréal a manifesté comme un seul homme lorsque le pouvoir a voulu rapprocher le modèle québécois du modèle américain en augmentant fortement les frais de scolarité. Ce qui fait l’attrait du Québec, c’est justement qu’il a su prendre le meilleur entre la vieille Europe et la jeune Amérique, et cherche tant bien que mal à le garder. Pour finir, il ne les a pas cités, mais les États-Unis font également face à un exode fiscal massif. Merci donc à Authueil d’enterrer de la sorte en l’espace d’un billet le programme économique de l’UMP et les tentations social-libérales du PS !

Authueil regrette de ne pas avoir émigré quand il le pouvait, c’est-à-dire « célibataire et sans enfants, avec 10 ans de moins ». C’est là, qu’il me fait peur, ce cher Authueil : combien de personnes bercées comme lui par le défaitisme maladif français ont vieilli prématurément et sont devenus des vieux aigris avant leurs quarante ans, regrettant une période pas si lointaine où ils pouvaient se permettre de changer de vie ? Je n’ose croire une seconde qu’Authueil en prenne le chemin. Ce qui me semble plus probable, c’est qu’il prenne le chemin de ces libéraux de salon qui exigent du monde compétitivité et flexibilité mais qui préfèreraient que le libéralisme vienne à eux plutôt que l’inverse. Mais j’ose tout de même espérer qu’il me contredira sur ce point !

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8 Responses to “Complainte d’un libéral en détresse”

  1. 3 janvier 2013

    bobo Répondre

    « faire accepter à certains privilégiés de renoncer leurs avantages, que ce soit chez les plus pauvres … »

    De quels avantages peuvent bien les pauvres ?
    Celui de ne pas mourir de faim ? De ne pas vivre à la rue ?

    Ces « avantages » sont la béquille qui évite à tout le système de basculer dans la rébellion et l’insurrection.
    C’est le B-A BA des modèles keynésiens, et aucun politique soucieux d’éviter une guerre civile, même par sectarisme libéral ne serait assez fou pour arriver à supprimer ces fameux « avantages ».

    • 3 janvier 2013

      Custin d'Astrée Répondre

      Je suis tout-à-fait d’accord avec vous. C’était maladroitement formulé, je corrige.

  2. 4 janvier 2013

    herve_02 Répondre

    Ce n’est pas le premier billet ou le triste sire « pète » un cable et il arrive à drainer un bande de premier de la classe dans les commentaires… ca fait peur.

    Ca fait d’autant plus peur qu’il ne se rend pas compte qu’il fait partie de ces insiders qui bloquent le système. je n’ai pas grand espoir venant de lui….

    il faudra construire une nouvelle société sans lui. Il veut juste continuer à profiter de ses avantages en expliquant aux autres qu’ils vivent au dessus de leurs moyens. l’austérité c’est vachement bien …. pour les autres….

    • 4 janvier 2013

      authueil Répondre

      Dites, Hervé 02, vous en savez quoi de moi ?

      • 21 septembre 2014

        Huhu Répondre

        Ben, Authueil, je ne vous connais pas, mais je vous ai lu. Vous êtes un crétin. Voilà, la bise.

  3. 4 janvier 2013

    N_Yoda Répondre

    @herve_02 : Vous n’avez jamais rencontré Authueil pour le qualifier de « triste sire » !

    • 4 janvier 2013

      Custin d'Astrée Répondre

      Il paraît que Nadine Morano est plutôt sympa en société. Pourtant, ça ne l’empêche pas de dire beaucoup de conneries. Même chose pour moi.

  4. 4 janvier 2013

    lyly Répondre

    Si nous sommes un des pays les plus attractifs en terme d’IDE, c’est grâce à notre système de sécurité sociale et de retraite général.
    Si une entreprise étrangère veut fermer une filiale en France, certes elle doit payer plus d’indemnités que dans d’autres pays (et encore…), mais elle ne doit plus rien une fois qu’elle a payé ses cotisations sociales. Alors que notamment dans les pays anglo-saxons, même partie elle a émis un chèque en blanc jusqu’à ce que le dernier ayant-droit du dernier salarié n’ait plus de droit. (à la retraite, à la mutuelle, aux études, ect). Ce qui avait mis particulièrement en difficulté General Motors, c’était la masse salariale inactive des retraités qu’il faut toujours payer même si on ne fait plus de bénéfices.
    Notre système mutualisé permet aux investissements de rentrer et de sortir plus librement (en payant moins de prime de risque social à long terme) finalement que dans d’autres pays réputés plus libéraux.

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